Les réseaux sociaux, dans leur forme contemporaine, peuvent être perçus comme une cristallisation stendhalienne des temps modernes, une notion que Stendhal, écrivain du XIXe siècle, décrit dans De l’amour (1822) comme un phénomène de transformation de l’émotion brute en un idéal. Dans cette optique, les réseaux sociaux fonctionnent comme des espaces où les individus, dans leur quête de reconnaissance et de validation, manipulent et transforment leur réalité personnelle en un idéal de perfection, souvent en décalage avec la réalité brute.
La cristallisation en quelques mots
La cristallisation stendhalienne, un processus par lequel une perception initiale ordinaire d’un objet ou d’une personne se transforme en une obsession presque divine, est transposée dans le cadre numérique des réseaux sociaux. Là, la recherche de l’authenticité et de la reconnaissance se transforme en une quête du « like », du commentaire favorable ou de l’attention de l’autre. À l’instar du phénomène stendhalien, cet acte de valorisation déforme la réalité. Ce qui était, au départ, une situation ordinaire devient perçue comme précieux ou exceptionnel par le biais de l’image que l’on projette.

Les réseaux sociaux figent un idéal et l’inconscient cultive le fantasme de perfection
Les plateformes sociales, telles qu’Instagram, Facebook ou TikTok, permettent cette manipulation constante de la réalité. L’utilisateur choisit de montrer seulement une facette soigneusement sélectionnée de sa vie, souvent idéalisée. Cette transformation ressemble à la cristallisation stendhalienne où une émotion ordinaire se magnifie pour devenir une forme de beauté quasi irréelle. Par exemple, une simple image de vacances devient un cliché parfait, et une simple rencontre devient une histoire extraordinaire. Les réseaux sociaux, en créant des contextes où les individus s’adonnent à cette hyper-valorisation de soi, reproduisent ainsi la mécanique du processus de cristallisation. L’ordinaire devient exceptionnel, la banalité se mue en perfection.
Cependant, cette cristallisation est également une illusion. Dans De l’amour, Stendhal souligne que ce processus est en grande partie illusoire et que la réalité finit toujours par percer. De même, dans le monde des réseaux sociaux, l’idéalisation de soi est constamment confrontée à la réalité, qui, souvent, ne peut être totalement masquée. Les moments d’inconfort, les échecs et les imperfections de la vie quotidienne sont subtilement évités, mais finissent par ressurgir sous forme de tensions ou de déceptions. Cela explique en partie le phénomène de « burn-out » des réseaux sociaux, où l’incapacité à maintenir cette image idéalisée conduit à une rupture avec la réalité intérieure de l’individu.
De plus, la quête constante de validation sur les réseaux sociaux reproduit le mécanisme de la cristallisation de manière collective et partagée. Tandis que l’amour de Stendhal se cristallise dans une relation entre deux individus, dans les réseaux sociaux, la cristallisation devient une dynamique de masse où des millions de personnes cherchent à projeter une version idéalisée de leurs vies. Cette dimension collective de la cristallisation amplifie encore la pression sociale, en exacerbant l’attente de validation extérieure et l’angoisse de ne pas correspondre aux normes de perfection visuelle et sociale.
Ainsi, les réseaux sociaux deviennent, à travers ce prisme stendhalien, un lieu où les individus cherchent à cristalliser une réalité personnelle souvent éloignée de leur vécu quotidien, créant une image idéalisée de leur existence, tout en étant contraints par la pression de maintenir cette image sous les yeux d’une audience toujours plus large. L’Ego devient le centre de notre réflexion et construction, ceux ne pouvant répondre à ce diktat se retrouvent dans deux issues possibles — sombrer dans une quête destructrice ou la dissidence. La dépression et les maladies de perception du corps vont de paires !
